Philippe Fabry
Conflit Inde-Pakistan : wait and see
Il y a six mois, à la suite de l'affaire de l'attentat contre un bus qui avait conduit l'Inde et le Pakistan au bord de la guerre, j'avais publié un billet expliquant que la morphologie de ce conflit serait riche d'enseignements pour la tenue des confrontations à venir entre puissances nucléaires.
Cependant, quelques jours après avoir livré des combats aériens et s'être mutuellement bombardé, nous avons assisté à un semblant de désescalade, l'Inde ne prenant plus de mesures supplémentaires et le Pakistan d'Imran Khan, après avoir montré par un raid aérien qu'il était prêt à se défendre (et fort capable de le faire, vu que le résultat a été assez humiliant pour l'aviation indienne), protestait de sa bonne foi et de sa volonté d'apaisement, libérant aussitôt un pilote capturé et appelant au dialogue.
Il pouvait donc paraître que ce nouvel épisode de tension était terminé, sans être même allé aussi loin que le conflit de Kargil ou la confrontation de 2001.
Surpris par cette issue en queue de poisson, j'ai préféré réserver mon jugement et ne pas tenter de tirer trop tôt des conclusions, au cas où l'on assisterait à un nouveau départ de feu dans l'avenir proche.
Bien m'en a pris, puisqu'aujourd'hui la tension est vivement remontée, après qu'il y a une quinzaine de jours Modi ait procédé à un déploiement exceptionnel de troupes au Cachemire sous contrôle indien, coupé les télécommunications, et abrogé l'article de la constitution faisant du Cachemire une région relativement autonome pour d'une part le scinder en deux morceaux, le Ladakh et le Jammu & Cachemire, et d'autre part placer ces territoires sous administration directe du pouvoir central. Un geste d'autorité de la part du gouvernement hindou sur cette région peuplée en grande majorité de musulmans.
Il semble donc que Modi ait préféré attendre d'être correctement préparé pour riposter correctement, ce qui était un impossible il y a six mois lorsque les Indiens ont été pris de court par l'attentat : un bombardement symbolique, et au résultat discuté, était la seule chose faisable dans l'immédiat.
Aujourd'hui, il a eu le temps de mettre en place un plan pour reprendre en main la région et, s'il n'y a pas eu de nouveaux combats d'aviation, non seulement les derniers sont encore récents et très présents dans les mémoires, mais la tension stratégique est encore monté plus haut, car aujourd'hui le Pakistan craint bien plus qu'une frappe sur un camp terroriste : Modi affiche l'intention de régler définitivement le problème du Cachemire et du terrorisme soutenu par le Pakistan, et le caractère calculé et prémédité de la manoeuvre fait redouter au voisin de l'Inde une offensive stratégique, qu'elle soit ou non militaire, qui affecterait durablement son statut : le Pakistan ne décolle pas économiquement, contrairement à l'Inde, et le mouvement de Modi est la conséquence de cette divergence croissante, qui ne promet pas aux deux pays un statut similaire dans le monde de demain.
Signe qui ne trompe pas : Imran Khan, désormais, déclare qu'il n'est plus disposé à discuter.
Mais plus important encore, la reprise en main du Cachemire et son placement sous contrôle direct du gouvernement est une manoeuvre stratégique de Modi pour se rendre capable de menacer le corridor économique sino-pakistanais, qui passe par le Cachemire sous contrôle pakistanais, et doit fournir à la Chine un accès direct aux hydrocarbures du Golfe. Modi veut ainsi rendre la pareille à la Chine dont les installations au Doklam, depuis quelques années, la rend capable de menacer l'unité du territoire indien.
La Chine ne s'y est pas trompée, que la récente manoeuvre indienne a visiblement rendue plus nerveuse que les échauffourées du mois de février-mars.
Il est donc nécessaire d'attendre encore au moins quelques mois avant de chercher à tirer des enseignements de cette nouvelle confrontation indo-pakistanaise.
