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  • Photo du rédacteurPhilippe Fabry

La grande stratégie de Donald Trump face à la Chine

Ceci est un article que j'ai publié dans L'Opinion il y a un an. Je le reproduis ici pour en conserver la copie en libre accès et, surtout, parce que la confrontation entre Chine et Etats-Unis se poursuivant et s'accentuant, il demeure parfaitement d'actualité.


« Brouillon », « impulsif », « maladroit », « capricieux », sont les mots que l’on a coutume d’entendre lorsqu’il s’agit pour les commentateurs d’analyser l’action de Donald Trump en matière de politique internationale ; sauf pour la Russie, où l’on parle plus de « complaisance », sinon de « collusion », et où on le trouve « faible ». Il ressort de tout cela, généralement, la vision habituellement portée dans les médias d’un 45eme président des Etats-Unis incompétent, instable, admirant les dictateurs, et cherchant uniquement à plaire à son électorat à l’intérieur des Etats-Unis, mettant en péril l’ordre mondial.

Rien n’est plus faux : Donald Trump a incontestablement une vision solide de la situation stratégique américaine, et lorsqu’on l’a identifiée, son action apparaît comme tout à fait rationnelle et cohérente – quoique pas nécessairement vouée au succès.

Les lecteurs curieux trouveront très facilement sur Youtube une vidéo datant d’août 2015, durant trois minutes, et éloquemment intitulée « Donald Trump says « China » », qui illustre parfaitement la centralité de la Chine dans la pensée de celui qui n’était alors que candidat aux primaires républicaines.

Mais la vision de Trump va bien au-delà de celle qu’on lui prête usuellement, et qui se limiterait à une appréhension populiste des rapports économiques entre les deux pays, et à quelques promesses de rapatriement d’industries délocalisées.

Le POTUS est conscient que le « deal » des années Clinton, le transfert massif de production industrielle en Chine en échange du financement de l’accroissement colossal de la dette américaine, ne peut plus être maintenu, notamment parce que la Chine n’est pas allée dans la direction attendue.

De la Chine, les Etats-Unis et les Occidentaux en général attendaient une évolution progressive vers la démocratie libérale, censée être la continuation naturelle de la libéralisation économique et de l’apparition d’une classe moyenne.

Or, ce n’est pas du tout ce que l’on a observé. Au contraire, depuis l’arrivée de Xi Jinping, la Chine se fait plus inquiétante à l’intérieur et plus menaçante et agressive à l’extérieur. Le régime évolue dans le sens d’un retour à l’autoritarisme, avec une présidence à durée indéterminée pour Xi. Il a accentué sa poussée sur l’étranger proche : confrontations dans l’Himalaya avec l’Inde, annexion de facto de la mer de Chine du Sud. Plus encore, Xi Jinping est le porteur d’une véritable stratégie de domination eurasiatique : le projet One Belt, One Road est un immense piège à endettement pour les pays participants qui, incapables de rembourser les prêts chinois considérables, doivent céder à la Chine des droits réels et lui permettent une expansion militaire – l’exemple le plus criant étant les Maldives, où les Chinois installent une base navale après avoir pris l’archipel dans la toile de l’endettement. Stratégie qui affectera, tôt ou tard, les Européens eux-mêmes : souvenons-nous des installations portuaires grecques rachetées par la RPC.

Si la Chine avait évolué vers la démocratie libérale, une poursuite de la coopération aurait peut-être été possible. Mais cela est impossible s’agissant d’un Etat qui montre une évolution en sens inverse, qui a déjà détrôné les Etats-Unis au plan de la richesse mesurée en parité de pouvoir d’achat, les détrôneront pour ce qui est du PIB nominal en 2024, et dont on pense que la puissance navale égalera celle de l’Amérique dans le courant de la décennie 2020, avec la mise en service, outre les deux porte-aéronefs déjà détenus, de deux porte-avions de dimensions et capacités voisines de celles des navires américains.

Donald Trump, et un certain nombre de responsables américains avec lui, voient la Chine comme un nouveau rival d’une dimension telle qu’ils ne pensaient plus en connaître, de l’envergure de l’URSS. Et ils voient que le temps joue contre eux.

Le 45eme président des Etats-Unis a donc choisi la confrontation, en espérant que celle-ci ne sera pas militaire, et qu’un bras de fer stratégique suffira à briser la Chine comme il suffit à briser l’URSS.

Les grands facteurs de la victoire des Etats-Unis sont parfaitement connus : la division du camp communiste, d’abord, avec le détachement de la Chine par Nixon ; l’enlisement russe en Afghanistan; la relance de la course aux armements, par Reagan ; enfin la réaffirmation de la puissance économique américaine après les reaganomics, couplée à l’étouffement de l’Union soviétique qui remit de la distance entre l’URSS et l’Amérique, notamment en matière technologique.

La politique internationale de Donald Trump est entièrement ordonnée à cette confrontation avec la Chine, et à la répétition de la stratégie victorieuse contre l’URSS.

C’est là la raison de la modération de Trump envers Poutine et de sa « complaisance » d’Helsinki : il s’agit de faire le « coup » inverse de Nixon : celui-ci avait détaché la Chine de l’URSS, Trump veut détacher la Russie de la Chine. Aucune « collusion » là-dedans, ni « dossier secret » détenu par Poutine. Il s’agit d’un calcul stratégique, beaucoup plus profond et pesé : la Russie est perçue comme un danger stratégique qui s’effacera de lui-même à long terme, pour des raisons économiques et démographiques, alors que le danger chinois ne fera que s’accroître.

On trouve dans l’annonce fracassante de la création d’une « Space Force » la même inspiration historique, presque ridicule dans sa similitude avec l’Initiative de Défense Stratégique de Reagan, et qui doit constituer une nouvelle démonstration de force technologique alors que la Chine a considérablement diminué son retard en matière de technologies spatiales.

Enfin, le front économique : les baisse d’impôts et déréglementations de Donald Trump ont déjà donné un coup de fouet à l’économie américaine, portant sa croissance à plus de 4% ; combinée aux doutes que l’on peut avoir sur les chiffres officiels de la croissance en Chine, il apparaît que le rattrapage de l’économie américaine par l’économie chinoise pourrait être considérablement ralenti.

La guerre commerciale initiée par Trump va dans le même sens : elle fait écho aux sanctions décrétées par Reagan le 13 décembre 1981, interdisant aux sociétés américaines des transferts de technologie vers l’URSS en matière énergétique. Le Président des Etats-Unis actuel, lui, a choisi de frapper l’industrie lourde chinoise, notamment l’acier, et également de limiter les transferts de technologie vers un pays réputé « voleur » de propriété intellectuelle.

Ce qui vient de débuter avec cette « guerre commerciale » avec la Chine, ce n’est donc pas simplement une question de réindustrialisation de l’Amérique pour faire plaisir aux électeurs ouvriers de Donald Trump. Ce n’est pas juste un rééquilibrage commercial dont il est question, mais d’une confrontation stratégique totale qui a pour but l’étranglement de la Chine et, si possible, l’effondrement du régime de Xi Jinping, sur le modèle de l’URSS. Une telle guerre commerciale est donc partie pour durer des années, l’objectif de Trump étant tout bonnement d’abattre le rival chinois en pleine ascension pour garantir la suprématie américaine.

Sur le papier, la stratégie peut sembler imparable, puisqu’elle a déjà fait ses preuves contre l’URSS. Pour autant, il y a de grandes chances qu’elle échoue.

D’abord, parce que, en dépit de la présence du Parti Communiste chinois, l’économie chinoise est beaucoup plus capitalistique que celle de l’URSS. Elle a certes des faiblesses structurelles potentiellement lourdes, comme sa dette fantôme, mais on peut douter qu’elle soit aussi sensible à la stratégie d’é

tranglement que l’Union soviétique.

Ensuite, la Chine ne paraît pas sur le point de s’engager dans une aventure militaire comparable à ce que fut l’Afghanistan pour l’URSS, qui contribua fortement à épuiser celle-ci, matériellement et moralement.

Enfin, parce qu’il est très improbable que Trump arrive à détacher la Russie de la Chine : l’URSS et la RPC avaient, du temps de Nixon, des contentieux frontaliers et une véritable rivalité au sein du bloc communiste. La Chine et la Russie d’aujourd’hui sont solidement arrimées dans une détestation commune de l’ordre américain sur le monde, et n’entretiennent pas de litiges graves ; par ailleurs, contrairement à la Chine de Mao, la Russie nourrit des ambitions sur l’espace européen, allié des Etats-Unis, qui vont au-delà des concessions que l’Amérique pourrait vraisemblablement accepter.

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